archeoprovence

Faisait partie du diocèse de Gap et de la viguerie de Sisteron, aujourd’hui dans le canton de La Motte-du-Caire. La commune s’étend au nord de celle de Sisteron sur une grande terrasse dominée par la montagne de Gache culminant à 1356 mètres. Elle se prolonge au nord, après avoir traversé la Sasse, par une zone de collines fertiles que surplombe la Montagne de Hongrie. Ces deux entités géographiques offrent à la fois des terres de culture et des pâturages pour les troupeaux d’ovins. Elles ont attiré très tôt les colonisateurs puisque l’on y a décelé des implantations gallo-romaines, mais également plus tard les riches abbayes, Novalaise, Saint-Victor et Aniane. D’une superficie de 2849 hectares, elle accueillait 840 habitants en 1315, maximum jamais dépassé par la suite.

La première mention de Valernes apparaît sous la forme de Valerignaca. C’est en 739, quand le patrice Abbon fait don à l’abbaye de Novalaise de plusieurs domaines, dont la corte Valerignaca 1. Il s’agit d’un domaine de type villa comprenant la ferme domaniale avec tous les bâtiments nécessaires à l’habitation et à l’exploitation des terres, écuries, loge à cochons, pressoir à vin, greniers, cases pour la fabrication du beurre et des fromages, etc. Il est tenu par une famille de régisseurs de condition libre, aidée par des familles de condition servile. Tout autour de la corte s’étendent les terres arables, les vergers et vignes, les pâtures et les bois. Quand le domaine est très vaste, des fermes ou manses réparties sur le territoire assurent l’exploitation des terres éloignées sous le contrôle du régisseur qui perçoit pour le maître une partie des récoltes. Une petite église desservait l’ensemble, construite près de la ferme domaniale. Ce domaine, dont on connaît seulement le nom, n’a pu être localisé sur le terrain, mais a pu être repris au début du XIe siècle au sortir de la période sarrasine. Les moines chassés au cours du Xe siècle, les habitants ont accaparé les biens de l’abbaye et se sont constitué un patrimoine foncier important. On les retrouve en effet le siècle suivant.

 

563. Le prieuré de Saint-Heyriès

En 1069, deux habitants de Valernes, indigene, Isnard et Isoard, donnent à Saint-Victor en 1069 un manse qu’a bien cultivé Pons Ferrand, en entier, avec les vignes, les prés, les champs, les garrigues cultes et incultes, avec les arbres fruitiers et infructueux et également tout ce leur est joint, outre la dîme. En plus, nous donnons ce que Ingelbert a mis en culture, donné en dotation à l’église de saint Heyriès, de même tout ce qui est du susdit manse et en outre la dîme avec l’église (CSV 2, n° 717, p. 62-63). La donation est faite sous l’autorité du vicomte de Gap Isoard de Mison. Les deux frères, non seulement sont propriétaires d’un manse, mais également d’une église, de la dîme et des terres qui en dépendent. Si le manse peut correspondre à l’une des propriétés de l’ancienne corte Valerignaca, l’église pourrait être aussi celle qui se dressait près de la ferme domaniale. Le 4 juillet 1079 le pape confirme la possession aux moines, in episcopatu Vapicensi cellam sancti Asegii de Valerna (CSV I, n° 843, p. 218).

Tenue par Saint-Victor, l’église du prieuré ne restera paroissiale que peu de temps, car le castrum est en train de naître. En 1113 est citée une nouvelle église paroissiale sous le titre de Sainte-Marie alors que celle d’Heyriès garde seulement le statut de prieuré, in episcopatu Vapincensi cellam sancti Erigii de Valerna cum ecclesie parrochiali sancte Marie (CSV 2, n° 848, p. 237-238. Seul le cimetière du prieuré continuera sa fonction. En 1641, l’église et cimetière de saint Arey où estoit autrefois l’église du prioré laquelle est maintenant tout à fait démolie et en 1687 l’évêque constate que le cimetière est très éloigné et il demande d’en construire un plus
commode
2. La distance est en effet de 800 mètres entre la colline où se dressent le village, le château et l’église et le cimetière du prieuré. Depuis, tout a disparu de cette primitive fondation, seul subsiste le nom de Saint-Heyriès.

 

564. Chapelle Saint-Didier

Le Château Saint-Didier est situé en limite avec la commune de Sisteron sur la terrasse dominant le cours de la Durance, sur un éperon barré sur trois côtés par des ravins abrupts. Une église, ecclesia Desiderii, est citée en 1208 faisant partie des possessions de l’abbaye de Saint-Guilhem en Languedoc. Elle est mentionnée dans les comptes des décimes en 1274, desservie par un procurator Sancti Desiderii (Pouillés, p. 81). Le château, centre d’un vaste domaine s’étendant sur la terrasse, passera ensuite dans les mains de l’abbaye Sainte-Claire de Sisteron en 1452, puis dans celle des Ursulines de Gap 3. A la Révolution le domaine est vendu en totalité à un seul acquéreur 4. Une chapelle dessert le domaine, élevée près du château. Rebâtie entièrement, mal orientée, il n’est pas sûr qu’elle soit l’église originelle du prieuré. En effet, à 800 mètres au nord du château, en plein champ, s’étale un immense pierrier où l’on découvre des fragments de tegulae, d’imbrices et de dolia. Les cartes modernes indiquent St-Didier à son emplacement, de même le cadastre napoléonien de 1836. Il est probable, faute de témoignage plus fiable, de pouvoir situer le prieuré originel à cet endroit, non défensif, en milieu ouvert et sur un site antique.

 

565. Chapelle Saint-Marcellin

Une autre église est citée en même temps que celle de Saint-Didier et dépendant du même monastère, ecclesia sancti Marcellini; elle est desservie par un capellanus Sancti Marcellini ante Valentiam en 1274. Le prieuré subira le même sort que celui de Saint-Didier, passant dans les mains des mêmes abbayes, aux mêmes dates. Il est situé à 705 m d’altitude sur un replat dans l’ubac de la montagne de Gache, au lieu-dit actuel les Monges que la carte de Cassini dénomme Ste Clere rappelant son ancienne appartenance. Deux bâtiments en ruine et d’autres structures subsistent encore, particulièrement celle d’un édifice qui servit d’église succursale jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. En 1687, l’église ou chapelle St Marcellin est en très méchant état, couverte de tuilles, y ayant au toit une ouverture considérable par où il pleut dans la nef, laquelle n’est ni voûtée ni blanchie, mal pavée. Un petit tableau sans cadre au-dessus de l’autel. Puis en 1707, il y a la chapelle saint Marcellin qui s’est démolie depuis quelques années. On dit qu’autrefois c’était une cure parce qu’il y a encore un cimetière contre ladite chapelle. Enfin, en 1759, érection d’une succursale au lieu de Vallerne, quartier appelé l’ubac, en dela de la rivière de Sasse, où depuis un temps immémorial il y avoit une église paroissiale avec son presbytère, au quartier St-Marcellin, en l’ubac de la montagne de la Gache, lesquels étant tombés en ruines, les habitants dudit quartier de St-Marcellin allèrent et sont allés entendre la messe à la chapelle du domaine de la dame abbesse du monastère de Ste Claire de la ville de Sisteron, en été, mais, en hiver, ils sont privés de tout service religieux à cause de l’éloignement du lieu 5. La Révolution interdira tout office paroissial dans le bâtiment qui deviendra maison d’habitation pour être ensuite abandonné.

L’édifice soulève problème car il est non seulement mal orienté mais présente un mur à l’architecture que l’on peut qualifier de militaire ou d’expression de puissance châtelaine. Il est constitué d’un appareil à bossage remarquable, rare dans nos régions. Le chaînage des deux angles est composé de pierres de taille présentant des modules de 0,50 m de longueur pour 0,19 m de hauteur. Le bossage est de type rustique avec un liséré de 3 cm de largeur, décoré d’une ciselure oblique. Les joints sont fins, sans liant. Chaque pierre d’angle est disposée en alternance et correspond à un lit formé de pierres éclatées au marteau liées au mortier. D’après ces indices de structure, on peut avancer la période fin XIIe-début XIIIe siècle, mais avant 1230, période qui correspondrait à la première mention de 1208 6. Il n’est pas certain qu’il ait été érigé pour faire à l’origine fonction d’église, l’emploi du bossage étant réservé essentiellement aux édifices seigneuriaux, ce décor symbolisant la puissance du comte et des aristocrates, laïcs ou religieux. Par contre, accolé à ce bâtiment, subsiste un mur présentant un appareil lité régulier formé de petits modules de pierres éclatées au marteau qui pourrait dater du XIe siècle et convenir pour le prieuré originel. Un dégagement et une étude des structures permettraient une meilleure appréciation de ces deux architectures avant que tout ne s’écroule, le mur à bossage étant prêt de tomber.

Synthèse

Il n’est pas assuré que le prieuré de Saint-Heyriès donné à Saint-Victor en 1069 soit à l’emplacement de la corte Valerignaca de 739, mais il existait déjà lors du don et était aux mains de laïcs. Quand les moines de la Novalaise héritèrent de la corte, ils y bâtirent certainement un lieu de culte qui a pu subsister jusqu’au XIe siècle. Le prieuré Saint-Didier, en plein champ, sur un site antique, peut lui aussi faire partie des édifices bâtis pour desservir un habitat dispersé. Celui de Saint-Marcellin est plus délicat à dater.

 


1 Testament rédigé le 5 mai 739 et retranscrit dans une charte de Charlemagne de 805 (MARION Charles, Cartulaire de l’église cathédrale de Grenoble, Paris, 1869, p. 40). Ce patrice Abbon fut d’abord patrice de Maurienne et de Suze vers 726, puis nommé par Charles Martel patrice de la Provence vers 737. Il fut le dernier à porter le titre de patrice, terme romain, remplacé après lui par celui de comte. C’est lui qui fonde l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Novalaise en 726, l’une des plus anciennes des Alpes. Elle est située près de Suse au pied du Mont Cenis.

 

2 ADHA G 784 et 786.

 

3 FERAUD, p. 78 et ADHA G 962. Les lettres patentes de la suppression sont en date du mois de mars 1750 et leur domaine de Valernes est attribué au couvent des Ursulines de Gap : suppression de l’abbaye Sainte-Claire de Sisteron et rattachement au monastère de Sainte-Ursule de Gap. Les prieurés de St Didier et de St Marcellin situés dans la paroisse et terroir de Valernes dont la dixme est actuellement affermée pour la somme totale de 480 livres par an sur laquelle ledit monastère de Gap payera 18 livres à l’hôtellerie de St-Guilhen-du-Désert, et fera dire la messe depuis le 3 mai jusqu’au 4 septembre de chaque année.

4 ADAHP 1 Q 40. Acquéreur Guillaume Michel Jarjaye pour 20 400 livres le 2 février 1791.

5 ADHA G 786, visite pastorale de 1687. AD HA G 1103, état des paroisses, 1707. G 980, succursale, 1786-1787.

6 Sur ce sujet, DURUPT Anne-Marie, Châteaux et enceintes à bossages en Provence occidentale, Revue Châteaux-Forts d’Europe, n° 6, 1998.

 

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